Par Marie Lenglet, publié dans Ouest France le 09/02/2022
Inventer une nouvelle façon de prendre en charge les femmes et les enfants victimes de violences intrafamiliales implique de bousculer les lignes. Au risque qu’elles ne bougent pas assez vite.
« Il n’y a plus de violences conjugales en Ille-et-Vilaine. » La formule, lourde d’une ironie désabusée, traduit l’incompréhension de Catherine Leguay, directrice de Ker Antonia. Début février 2022, sur les douze appartements que compte la structure bretillienne, cinq sont inoccupés : « Nous pourrions y accueillir cinq mamans et jusqu’à une quinzaine d’enfants supplémentaires. Des familles nous appellent mais, aujourd’hui, ce n’est pas nous qui décidons de prendre ou non en charge quelqu’un. »
L’orientation des femmes victimes de violences intra-familiales relève du SIAO, le Service intégré d’accueil et d’orientation, et se fait en fonction de critères par le prisme desquels est analysée chaque situation. « On fait rentrer les femmes dans des cases qui correspondent aux centres d’hébergement, à un hébergement d’urgence, à une maison relais… Seulement, Ker Antonia ne rentre dans aucune de ces cases, nous sommes à la croisée de plusieurs agréments », constate-t-elle.
Alors, les orientations se font rares, bien trop rares au goût de la direction et des trois employées de Ker Antonia. Pourtant, en juin 2021, alors que la maison accueillait dix mamans et plus de 20 enfants, elles ont pu mesurer combien la charge de travail était lourde. Car ne rentrer dans aucune case a aussi des conséquences sur les moyens humains que peut mobiliser la structure.
Une maison unique dans son fonctionnement
Officiellement, Ker Antonia est « rangée » dans la catégorie des maisons-relais. Seulement, l’accompagnement imaginé sur place va bien au-delà des prérogatives de celles-ci : « Nous faisons le lien entre les familles et les intervenants extérieurs, spécialisés, nous mettons en place du soutien à la parentalité, nous sommes là quand il faut écouter, défend Catherine Leguay. Si une maman, un matin, n’est pas en état de conduire son enfant à l’école, on y va. Et si elle a besoin de quelqu’un pour l’amener au tribunal, on le fait aussi. » Les femmes accueillies à Ker Antonia sont celles qui le disent le mieux : « La grande force de ce lieu est que l’on y prend en compte le fait qu’on ait besoin de temps pour se reconstruire. Et qui nous laisse ce temps. »
Sauf que les moyens alloués aux maisons-relais et, partant, à Ker Antonia, ne tiennent pas compte de ces spécificités. « Nous tirons la sonnette d’alarme pour que les pouvoirs publics comprennent et reconnaissent que notre maison est unique dans son fonctionnement », plaide sa directrice.
Un financement inadapté
Actuellement, l’État finance le dispositif à hauteur de 18 € par jour et par famille. « Le Département, et c’est assez exceptionnel, a compris qu’il y avait aussi un besoin financier pour les enfants accueillis et nous accorde 11 € par enfant et par jour, complète Catherine Leguay. Mais au regard de la réalité de ce que nous faisons ici, ces moyens sont dérisoires… »
À ce jour, l’un des emplois de Ker Antonia est financé uniquement grâce à la fondation Solacroup-Hébert, à l’initiative du projet. « Et il nous faut recruter des surveillants de nuit et de week-end pour faire face aux situations de harcèlement de la part de certains ex-conjoints violents, ne cache pas Catherine Leguay. Il y a une volonté des pouvoirs publics, on le sait. Mais quand nous donneront-ils les moyens nécessaires ? »
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